Parader à cheval

Si quelqu’un, montant un bon cheval de guerre, veut le faire paraître avantageusement et prendre les plus belles allures, qu’il se garde bien de le tourmenter, soit en lui tirant la bride, soit en le pinçant de l’éperon ou le frappant avec un fouet, par où plusieurs pensent briller, mais de tels moyens produisent justement le contraire de ce qu’on en attend : car, obligeant le cheval à porter au vent, on l’empêche de voir devant lui, et on le fait marcher en aveugle ; en le piquant et le battant on le désespère, non sans danger pour soi-même : d’ailleurs, ainsi maltraité, il se déplaît au travail, et, loin d’avoir de la grâce, ne montre dans ce qu’il faut que douleur et chagrin.

Ça, vous avez du tous le voir un jour : des cavaliers qui titillent leurs chevaux avec les éperons pour qu’ils se rebellent et semblent difficiles, puis beaucoup de main pour montrer qu’on le « mate »… Xénophon aussi voyait apparemment ceci souvent, et il était contre ce traitement absurde… Le cheval devient triste de travailler, il ne montrera donc plus la grâce qu’il a.

Conduit au contraire par une main légère, sans que les rênes soient tendues, relevant son encolure et ramenant sa tête avec grâce, il prendra l’allure fière et noble dans laquelle d’ailleurs il se plaît naturellement ; car, quand il revient près des autres chevaux, surtout si ce sont des femelles, c’est alors qu’il relève le plus son encolure, ramène sa tête d’un air fier et vif, lève moelleusement les jambes et porte la queue haute. Toutes les fois donc qu’on saura l’amener à faire ce qu’il fait de lui-même lorsqu’il veut paraître beau, on trouvera un cheval qui, travaillant avec plaisir, aura l’air vif, noble et brillant. Comment on pourra parvenir à ce but, c’est ce que nous allons tâcher d’expliquer.

Le « placé » de parade est le même qu’aujourd’hui : un cheval en place, la nuque au point le plus haut, chanfrein vertical, des allures relevées et donc un cheval rassemblé. Bref, l’étalon qui « drague » une jument (ils ne montent que des étalons hein).

Il faut premièrement avoir au moins deux mors, l’un desquels soit doux, ayant ses rouelles d’une bonne grandeur ; l’autre avec des rouelles petites et plates, des hérissons aigus, afin que le cheval, que l’on aura bridé avec celui-ci, le haïssant à cause de son âpreté, le quitte volontiers pour prendre le premier, dont par ce changement la douceur lui fera plus de plaisir, et qu’il exécute avec ce mors doux tout ce qu’on lui aura appris avec l’autre : que si, méprisant la douceur de la première embouchure, il cherche à s’en faire un appui et pèse fréquemment à la main, c’est pour cela que nous avons mis au mors doux de grandes rouelles, afin que, forcé par elles à ouvrir la bouche, il se dessaisisse du canon : l’on peut d’ailleurs faire d’un mors dur ce qu’on voudra, et par la légèreté de la main le modifier à tous les degrés.

Les mors sont différents d’aujourd’hui, cependant Xenophon en conseille deux : un doux, et un plus sévère. Le sévère ne doit servir qu’à montrer au cheval qu’il est mieux en mors doux, et qu’il est plus facile de travailler ainsi (donc le mors sévère doit être peu utilisé, et on essaie de rester le plus possible en mors doux). Les rouelles sont les rouleaux actuelles, par contre on cherche un cheval qui garde la bouche ouverte, d’où leur grande taille. Xénophon rappelle par contre que la dureté d’un mors dépend de la main qui s’en sert.

Au reste quelque nombre et diversité de mors que l’on ait, ils doivent être tous coulants : car celui qui est rude, par quelque endroit que le cheval le saisisse, il le tient comme une broche de fer (par quelque point qu’on la prenne, on la fixe tout entière) ; mais l’autre fait l’effet d’une chaîne, dont la partie seule que l’on tient est fixe, et le reste fléchit et demeure pendant.

Les mors droits ne sont donc pas conseillés par Xénophon qui préfère les mors de type « boules » (multiples brisures).

Ainsi le cheval, cherchant toujours à saisir ce qui lui échappe, lâche la partie qu’il tient et ne se rend jamais maître du mors. A quoi servent aussi les annelets pendant du milieu des canons, afin que le cheval les poursuivants (ces annelets) avec la langue et les dents oublie de saisir le mors.

Il conseille aussi les « jouets » que l’on met sur certains mors encore actuellement, pour éviter que le cheval ne prenne le mors et le bloque.

Si l’on demande maintenant ce qui fait qu’un mors est coulant ou rude, nous expliquerons encore cela. Il est coulant lorsque les brisures et les pièces du canon, qui s’emboîtent l’une dans l’autre, jouent librement, et que toutes celles que traversent les canons ne sont ni serrées ni gênée dans leur mouvement : quand, au contraire, toutes ces pièces roulent et jouent difficilement, alors le mors est rude ; mais quel qu’il soit, la manière de s’en servir sera toujours la même.

Il fait un résumé : un mors à multiples brisures est plus doux qu’un mors droit, mais c’est toujours la main qui fait le mors, et quelque soit le mors, il faudra s’en servir de la même façon (on ne doit pas avoir une main plus dure parce qu’on a un mors doux).

Pour faire prendre au cheval l’allure que nous avons dit, il faudra lui ramener la tête par différents temps de bride, non trop durement, de façon qu’il batte à la main, ni si doucement qu’il n’en sente rien : et dès qu’obéissant au temps de bride il relèvera son encolure, il faut sur-le-champ lui rendre la main : de même pour tout le reste, nous ne saurions trop le répéter, dès qu’il exécute bien ce qu’on lui demande, qu’on le récompense aussitôt en lui accordant quelque chose qui lui soit agréable.

Encore le principe confort/inconfort : on prend sur le mors, et dès que le cheval cède, on relâche tout.

Lorsqu’on verra qu’il porte beau et sent avec plaisir la légèreté de la main, qu’on se garde bien alors de le chagriner en rien, comme pour le faire travailler ; mais qu’on le caresse, au contraire, comme pour cesser le travail : de la sorte, comptant en être bientôt quitte, il prendra plus volontiers un galop franc et soutenu. Que le cheval de soi aime à galoper, cela se voit, en ce que tout cheval qui s’échappe galope d’abord et ne va au pas ; c’est que naturellement la course lui plaît, tant qu’on ne l’y force point au-delà de ce qu’il peut faire : car pour le cheval comme pour l’homme, rien n’est plaisir, passé la mesure.

Une fois que le cheval est en place, Xénophon indique bien de ne pas continuer à user du mors, mais le laisser prendre un galop franc, car le galop est une allure appréciée des étalons.

Lors donc qu’on sera parvenu à lui donner cette allure fière (bien entendu qu’on l’ait d’abord exercé à partir de vitesse après la demi-volte) ; si, dis-je, l’ayant instruit à cela, en même temps qu’on ramène la bride, on emploie quelqu’une des aides propres à le faire partir, alors contenu par le mors, excité par les aides qui le chassent en avant, il avance la poitrine, il lève haut les bras, par colère, non plus moelleusement ; car le cheval gêné ne peut guère avoir les mouvements moelleux : mais si après l’avoir de la sorte enflammé on lui rend la bride, par l’aise qu’il éprouve en se trouvant délivré de la sujétion du mors, il élève fièrement sa tête, ploie les jambes avec grâce et prend absolument le même air que lorsqu’il veut paraître beau près des autres chevaux ; et quiconque le regarde en ce moment, l’appelle généreux, noble, courageux, plein de feu, superbe, gracieux et terrible à voir ; et ceci soit écrit pour ceux qui désirent à leurs chevaux de telles louanges.

Là encore, il déconseille ensuite d’utiliser les jambes pour pousser en avant le cheval tout en le bloquant dans le mors, mais de le laisser prendre une allure qui est naturelle pour lui, et fière, sans le gêner.

Si l’on veut un cheval de parade, relevé, brillant, tous ne sont pas susceptibles de ces airs, mais ceux-là seulement qui joignent à une âme noble un corps vigoureux.

Lors des parades, les allures recherchées sont proches du piaffé et du passage. Xénophon indique qu’il faut un bon cheval, à la fois physiquement et mentalement, pour pouvoir obtenir ces airs.

Il n’est pas vrai, comme quelques-uns le croient, que le cheval qui a le pli des membres le plus moelleux ait par cela seul plus de facilité à s’enlever de l’avant-main ; mais plutôt celui qui aura les reins souples, courts et forts (et nous n’entendons pas seulement la partie située vers la queue, mais tout le râble), celui-là pourra porter plus avant les jambes de derrière sous celles de devant ; et au moment qu’il le fera, si on lui soutient la main, il fléchira le train de derrière dans les astragales, et s’enlèvera de l’avant-main, de manière que par devant on lui verra le ventre et les génitoires.

Voilà le rassemblé expliqué : un cheval qui porte son poids sur l’arrière main, qui engage les postérieurs, et qui fléchit l’encolure.

Il faut rendre la main dès qu’il exécute ceci, afin qu’il semble aux spectateurs agir de lui-même dans ce qu’on lui fait faire.

Encore une fois, quand le cheval fait ce qu’on demande, on cesse les aides.

Il y a des gens qui dressent leurs chevaux à ces airs, en les frappant d’une baguette au-dessous des astragales ; d’autres même en faisant courir après d’eux quelqu’un qui, avec un bâton, leur donne des coups au-dessous des cuisses et des bras. Quant à nous, nous croyons, et nous ne cesserons de répéter que la meilleure méthode pour instruire un cheval, c’est de lui accorder relâche dès qu’il a fait ce qu’on exige ; car, comme dit Simon, ce qu’un cheval fait par force il ne l’apprend pas, et cela ne peut être beau, non plus que si on voulait faire danser un homme à coups de fouet et d’aiguillon : les mauvais traitements ne produiront jamais que maladresse et mauvaise grâce.

Encore le confort/inconfort, et surtout il repousse fermement toutes les techniques barbares et injustes pour le cheval, qui sont des mauvais traitements.

Il faut que le cheval, au moyen des aides, prenne comme de lui-même les airs les plus beaux et les plus brillants ; si dans les allures ordinaires on le fatigue jusqu’à le faire suer, et que dès qu’il s’enlève bien on le descende et le débride, on peut compter qu’après cela il en viendra volontiers à s’enlever de même lorsqu’il sera monté.

Là encore, même principe : on travaille beaucoup aux allures normales, et peu aux allures relevées, pour inciter le cheval à les prendre volontairement.

Tels sont les chevaux qu’on représente portant les dieux et les héros, et ceux qui les savent manier se font grand honneur. Le cheval dans ses airs est une chose en effet si belle, si gracieuse, si aimable, que lorsqu’il s’enlève ainsi sous la main du cavalier, il attire les regards de tout le monde ; il charme jeunes et vieux ; on n’en peut détacher sa vue, on ne se lasse point de l’admirer, tant qu’il développe par ses mouvements sa grâce et sa gentillesse. Que s’il arrive à celui qui possède un tel cheval d’être nommé commandant de la cavalerie ou d’un escadron, il ne doit pas chercher à briller tout seul, mais à faire paraître avantageusement le corps à la tête duquel il se trouve. Or, s’il monte un de ces chevaux tel qu’on en voit vanter beaucoup, qui, s’enlevant haut et fréquemment, avancent peu, il est clair que tous ceux qui le suivront iront au pas ; or que peut avoir de brillant un pareil spectacle ? Mais si, animant son cheval, il conduit sa troupe d’un pas ni trop vite ni trop lent, tel qu’il convient pour montrer la vivacité, la bonne volonté et la grâce des chevaux, s’il les conduit ainsi, leurs pieds battront la terre ensemble, et de tous ensemble on entendra le frémissement de la bouche et le souffle des narines, ce qui donnera un air imposant non-seulement au chef, mais à tout le corps qui le suit.

Louange de la parade, et du rôle du chef de parade, par l’auteur.

En un mot, dès qu’on saura bien choisir les chevaux en les achetant, les entretenir de sorte qu’ils supportent le travail, et s’en servir comme il faut dans les exercices militaires, dans les manoeuvres de parade et dans les combats, qui peut empêcher que ces chevaux, en de telles mains, n’acquièrent une nouvelle valeur, et le maître tout l’honneur qui lui en doit revenir si quelque dieu ne s’y oppose ?

Et voilà la conclusion de la partie dédiée à l’équitation !

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