Chuchoter, un mot magique ?

Bien avant que le fameux livre ne donne la base pour le film avec Robert Redford, des hommes munis d’un « doigt vert » pour les chevaux ont bien existé.

C’est le philosophe grec, Xenophon (né en 430 avant JC), qui entraînait les chevaux par une méthode basée sur l’intuition et sans maltraitance. Ses mots : « une réussite, basée sur un malentendu ou de la force ne peut jamais être belle » sont encore valables aujourd’hui. Une phrase qui peut être appliquée à tous les grands chuchoteurs de nos jours, comme Dorrance, Hunt et Lyons, pour n’en nommer que quelques-uns.

Le mot ’chuchoter’ était utilisé en particulier pour expliquer une méthode de Daniel Sullivan, entraîneur irlandais dans les années 1800. C’est probablement lui qui est à la base de tout le « whispering ». Sullivan était renommé pour son travail avec des chevaux traumatisés ou maltraités. Ses méthodes ne sont pas très connues car il travaillait souvent en secret. Très rares étaient les gens qui avaient la possibilité de l’observer pendant son travail. D’après eux, il était toujours si proche du cheval que cela donnait l’impression qu’il chuchotait avec lui, c’est au moins cela qu’ils ont pensé et sa renommée comme « horse whisperer » était faite.

Les méthodes de Daniel Sullivan impressionnèrent Willis J Powell et John Solomon Rarey, qui écrivirent un livre sous le titre « Tachyhippodamia » ou « le secret de domestiquer les chevaux ». Dans les premières pages, ils parlent d’un « horse whisperer » d’Irlande, sans cependant mentionner son nom.

Pendant les années 1850, l’influence de JS Rarey était très populaire et les « anciennes » méthodes de D. Sullivan sont ressorties de l’obscurité. On raconte qu’il aurait appris ses méthodes « d’un gitan », mais tous les soupçons s’arrêtent là. La famille royale d’Angleterre a fait appel à Rarey et ses connaissances étaient portées partout dans le monde anglophone par des dizaines de gens qui, par écrit ou par bouche à oreille, parlaient de ses méthodes. Il ne semble pas que les découvertes de Sullivan, de Parey et de Powell ont révolutionné le monde équestre à cette époque ; la différence avec le travail traditionnel du maître Xenophon n’étant pas encore trop visible. Les méthodes de Xenophon ont laissé leurs traces dans l’éducation classique et se retrouvent de nos jours dans le travail du Colonel Podhajsky à l’école d’équitation espagnole de Vienne.

Le grand retour des méthodes autres que celle classique était préparé par les hommes américains. Cela est dû au fait que l’équitation western était (et est toujours) une équitation de travail de tous les jours, alors qu’en Europe, l’équitation est plutôt restée sur les bases classiques des guerriers. Un point important dans le domaine des chevaux est aussi la diminution de l’utilisation quotidienne en Europe à cause du remplacement des chevaux par des moteurs.

L’expérience et le savoir-faire des « whisperers » est le résultat d’un travail accompli. Prenons encore les hommes phares de l’époque : Bill et Tom Dorrance, Ray Hunt, John Lyons, Buck Brannaman par exemple. Des milliers de chevaux sont passés entre leurs mains, et comme tous les chevaux sont différents, cela donne un joli panel d’expériences vécues.

John Lyons dit : il n’y a pas de secret dans la manipulation d’un cheval, tout le monde est capable de le faire, mais il faut investir du temps pour étudier et pour s’entraîner.

Ce n’est pas la peine de vouloir refaire la renommée de Tom Dorrance. Toute sa vie est accompagnée par des chevaux. Il travaillait sur beaucoup de ranchs d’où des connaissances développées et apprises sur le terrain et sur le dos d’un nombre inconnu de chevaux. C’est son frère qui dit que Tom n’aimait pas les problèmes, ni avec les humains ni avec les chevaux, là où un autre jeune aurait pris un cheval difficile pour prouver ses qualités comme cow-boy, Tom Dorrance aurait choisit le cheval calme et facile à manipuler.

Ray Hunt était un des grands amateurs de Tom Dorrance et pendant leur travail ensemble, Ray Hunt se faisait un plaisir d’observer et d’apprendre les techniques de Tom Dorrance. Ray Hunt commençait à faire des stages. Je pense qu’il est honnête de dire que les « chuchoteurs » (je parle des vrais) qui ont croisé un jour ou l’autre le chemin de Ray Hunt ont profité de son expérience avec Tom Dorrance. Le leitmotiv de Ray Hunt : « Nous ne demandons pas au cheval de faire quelque chose. Il faut rendre les mauvaises actions difficiles et les bonnes actions faciles ». Un de ses élèves, Bill Smith, dit sur son maître : cela fait 30 ans que je suis ses stages et il n’a jamais changé, il apprend aux gens à faire ce qui est bon pour le cheval et ce qui est important, si ça ne va pas au cheval ça ne peut pas être bon.

John Lyons aime beaucoup montrer son travail pendant ses stages dans le round-pen. Dans un environnement contrôlé, il arrive à prédire les mouvements du cheval et expliquer à ses élèves que le cheval perd sa peur et va réaliser qu’il ne sera pas blessé. Au début de ses stages, il manipulait à peu près 500 chevaux par an, un chiffre qui laisse imaginer l’expérience récoltée. Il demande que les chevaux soient traités avec amour et respect, la force n’ayant rien à faire dans l’éducation, dit-il. Les chevaux sont comme les humains, ils veulent apprendre, tous les jours si possible, sans être forcés. Il fait la comparaison entre l’élève au collège et les étudiants à l’université : si vous voulez forcer quelqu’un à apprendre, il se retire et se referme sur lui plutôt que de s’ouvrir et de chercher à comprendre.

Je ne veux pas oublier de parler de Craig Cameron, de Pat Parelli, de Monty Roberts, de Clint Johnson et j’en passe, ils sont tellement nombreux et leur travail se ressemble, car en principe ils sont issus de la même école et ils portent le bonheur des chevaux dans leur cœur.

Bien sûr, il existe d’autres « whisperers », des bons et des mauvais, il y a beaucoup de « pseudo »- chuchoteurs qui, sans prendre un ticket, sautent sur le train de ce nouveau filon pour des raisons pas toujours honnêtes. Personnellement, je ne comprends pas non plus, pourquoi après avoir été formés chez un des grands, les élèves essaient de vendre leurs mérites comme si leurs connaissances venaient d’eux-mêmes. Dans chaque profession, les apprentis sont fiers de pouvoir dire que « mes connaissances, je les ai apprises avec tel ou tel maître » c’est un point fort et souligne l’importance du savoir-faire.

L’entente avec le cheval est (presque toujours) non verbale. Les chevaux ne sont pas capables de parler « humain », alors c’est à l’homme de comprendre le cheval et son langage sans mot.

Alors c’est quoi la différence entre les chuchoteurs et nous ?

Rien de plus que le temps d’observer, la patience et la volonté de comprendre le cheval. L’aider à surmonter ses peurs et utiliser ses instincts naturels pour les transformer en confiance envers nous les humains. C’est le message qui nous est transmis par les vrais horse whisperers. Tout le monde peut apprendre à comprendre le cheval et ainsi utiliser cette compréhension pour l’entraîner, en utilisant son propre langage. Comme le dit si bien Tom Dorrance : « j’adore voir le cavalier travailler son cheval dans son naturel, le naturel qu’il porte dès sa naissance, il faut juste savoir utiliser ses propres possibilités pour accomplir un bon travail. »

Si sur votre chemin vous rencontrez quelqu’un qui sait faire ça, sans force, avec l’amour et le respect qu’il doit à son compagnon, même si cette personne c’est vous, vous avez découvert comment « chuchoter » : il n’y a pas de magie là-dedans. Cela dit, ce n’est pas le mot ’chuchoter’ qui est magique, mais le travail avec un être vivant, pour arriver à former une équipe où les mots : peur, force ou punition, n’ont pas leur place et sont remplacés par amour, confiance et patience. »It comes from the heart » (Tom Dorrance).

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